CBD en France : vers une vente exclusive en bureaux de tabac ?
Le CBD (cannabidiol), molĂ©cule issue du chanvre sans effet psychotrope, sâest imposĂ© depuis quelques annĂ©es comme un produit phare du bien-ĂȘtre naturel. Huiles, fleurs, infusions, cosmĂ©tiques, e-liquides⊠le marchĂ© a explosĂ©, portĂ© par la demande croissante des consommateurs pour des solutions naturelles, relaxantes et lĂ©gales.
Mais un nouveau projet de loi pourrait bouleverser cet Ă©quilibre : le gouvernement envisage de rĂ©server la vente de CBD aux seuls bureaux de tabac. Une dĂ©cision qui inquiĂšte les professionnels du secteur et interroge sur lâavenir de cette filiĂšre en plein essor.
Un projet né de la volonté de mieux encadrer le marché
Aujourdâhui, la vente de CBD en France repose sur un cadre juridique encore flou. Bien que la Cour de justice de lâUnion europĂ©enne (CJUE) ait confirmĂ© en 2020 que le CBD ne peut pas ĂȘtre interdit sâil est produit lĂ©galement dans un autre pays de lâUE, la France peine Ă dĂ©finir des rĂšgles stables et uniformes.
Face Ă cette incertitude, le gouvernement justifie son projet par la nĂ©cessitĂ© de mieux contrĂŽler la distribution, de lutter contre les produits illĂ©gaux et de protĂ©ger les consommateurs. Les bureaux de tabac, dĂ©jĂ habituĂ©s Ă la vente de produits rĂ©glementĂ©s comme le tabac ou les e-liquides, seraient selon lâexĂ©cutif des points de vente âresponsablesâ et facilement contrĂŽlables.
Objectif affiché : limiter les dérives du marché tout en garantissant la traçabilité et la sécurité des produits.
Une mesure qui met en péril des milliers de commerces indépendants
DerriĂšre cette apparente logique de rĂ©gulation se cache une inquiĂ©tude majeure : celle des boutiques spĂ©cialisĂ©es dans le CBD, qui se sont multipliĂ©es depuis 2018. On en compte aujourdâhui plus de 2 000 en France, reprĂ©sentant des milliers dâemplois directs et indirects.
Si la vente est rĂ©servĂ©e aux bureaux de tabac, ces commerces seraient condamnĂ©s Ă fermer, alors mĂȘme quâils ont contribuĂ© Ă structurer et professionnaliser le marchĂ© :
- Sélection rigoureuse des producteurs,
- Formation du personnel,
- Accompagnement personnalisé des clients,
- Produits diversifiĂ©s (cosmĂ©tiques, bien-ĂȘtre, alimentationâŠ).
Les professionnels du secteur dĂ©noncent une mesure injuste et incohĂ©rente, qui favoriserait un quasi-monopole au profit des buralistes, au dĂ©triment de la libertĂ© du commerce et de la diversitĂ© de lâoffre.
On a investi, formĂ© nos Ă©quipes, créé de lâemploi local⊠et aujourdâhui, on risque tout de perdre,â dĂ©plore un gĂ©rant de boutique CBD Ă Lyon.
Les buralistes, nouveaux acteurs du bien-ĂȘtre ?
De leur cĂŽtĂ©, les buralistes voient dans le CBD une nouvelle opportunitĂ© de diversification. Avec la baisse continue des ventes de tabac, ils cherchent Ă se rĂ©inventer et Ă attirer une clientĂšle plus large. Certains vendent dĂ©jĂ du CBD sous forme dâhuiles, de fleurs ou de e-liquides, mais souhaitent obtenir un cadre exclusif pour sĂ©curiser cette activitĂ©.
Les fédérations de buralistes mettent en avant leur expérience dans la gestion de produits réglementés, leur réseau dense (plus de 23 000 points de vente en France) et leur capacité à assurer la traçabilité des produits.
Mais cette logique pose question : le CBD est un produit de bien-ĂȘtre, non un produit addictif. Le vendre dans les mĂȘmes lieux que le tabac risque de brouiller les messages de santĂ© publique et de dĂ©tourner le produit de sa vocation initiale.
Le CBD serait ainsi âvendu comme un produit de confianceâ, sous contrĂŽle de lâĂtat, Ă travers des canaux officiels.
Un paradoxe économique et sanitaire
Ce projet met en lumiĂšre un paradoxe français : dâun cĂŽtĂ©, le gouvernement promeut la diversification agricole et la filiĂšre du chanvre âMade in Franceâ ; de lâautre, il pourrait verrouiller la distribution, limitant les dĂ©bouchĂ©s pour les producteurs et transformateurs.
La France est pourtant lâun des plus grands producteurs de chanvre en Europe, avec un savoir-faire historique. Lâindustrie du CBD reprĂ©sente un potentiel Ă©conomique estimĂ© Ă plusieurs centaines de millions dâeuros, sans parler des retombĂ©es fiscales et touristiques.
Les réactions : colÚre et mobilisation dans la filiÚre
Les associations de professionnels du CBD ont immĂ©diatement rĂ©agi Ă lâannonce du projet. Des pĂ©titions circulent, des collectifs se mobilisent, et plusieurs entrepreneurs appellent Ă une concertation nationale pour Ă©viter une dĂ©cision unilatĂ©rale.
Le principal argument ? Le CBD nâest pas une drogue, il ne crĂ©e ni dĂ©pendance ni effets psychotropes. Il doit donc ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un complĂ©ment bien-ĂȘtre, et non comme un produit soumis au monopole du tabac.
Certains Ă©lus partagent ce point de vue : ils y voient une atteinte Ă la libertĂ© dâentreprendre et une distorsion de concurrence au profit dâun rĂ©seau dĂ©jĂ soutenu par lâĂtat.
Quelle suite pour ce projet ?
Ă ce jour, rien nâest encore votĂ©. Le projet fait lâobjet de discussions parlementaires et pourrait ĂȘtre amendĂ© ou abandonnĂ© sous la pression des acteurs Ă©conomiques et de lâopinion publique. Mais il tĂ©moigne dâune tendance de fond : la volontĂ© du gouvernement de reprendre la main sur un marchĂ© devenu difficile Ă contrĂŽler.
Lâavenir du CBD en France se jouera donc entre deux visions :
celle dâun produit libre et accessible dans le cadre du bien-ĂȘtre naturel,
et celle dâune marchandise encadrĂ©e, vendue comme un âproduit sensibleâ.
En conclusion
Le débat autour du CBD en France dépasse la simple question de la distribution. Il interroge notre rapport à la liberté économique, à la santé publique, et à la confiance envers les consommateurs.
Restreindre sa vente aux bureaux de tabac pourrait sembler pragmatique, mais câest ignorer lâĂ©cosystĂšme de professionnels passionnĂ©s qui ont bĂąti, en quelques annĂ©es, une filiĂšre française du chanvre dynamique, responsable et innovante.